Je m’attendais à quoi ? Ça n’arrive que dans les films les séquences où
les parents apprennent l’homosexualité de leur enfant en le prenant dans leurs bras. N’est-ce pas ? Peut-être que le proverbe « vivons heureux, vivons caché » est vrai au final…
Son manque de réaction m’a plus blessé que je ne le pensais. Je crois que c’est pire que des hurlements. Ou des mots blessants. C’est de l’indifférence. Et celui qui a dit que l’indifférence est
la pire chose que l’on puisse opposer à un être humain a eu raison. Je m’affale sur ma table en soupirant. C’est désespérant d’être gay. En fait, ce n'est pas le fait de
l'être qui est désespérant, c'est l'attitude des autres. Tu ne peux en parler qu’à une
minorité, tu dois te cacher de peur de te faire tabasser par certains homophobes, t’as pas le droit de te marier, t’as pas le droit d’adopter – pas que je veuille des gosses mais sur le principe…
- même les gens qui se disent ultra tolérants te regardent de travers à un moment ou à un autre… Quand est-ce qu’on sera tranquille ? Et dire que les grecs couchaient tous avec des hommes et
que c’était une preuve de virilité… Maintenant, t’es juste considéré comme une fille. En pire. Faut pas se voiler la face hein, vous croyez vraiment que les nanas sont égales aux hommes ?
Faut pas rêver. Bah les gays, c’est pire. Ça dépend où je vous l’accorde. Mais souvent dans votre boulot, si vos collègues apprennent votre orientation sexuelle, inconsciemment ou non, leur
regard sur vous changera. Ça craint hein ? Et dire que tout est de la faute de l’église. Si le christianisme n’avait pas foutu son nez là dedans, on aurait sans doute pu être avec n’importe
qui, du moment que certains fassent perdurer l’espèce.
— Jensen. Vous n’êtes pas là pour finir votre nuit. Votre table n’est pas un oreiller.
Je regarde Matthew dix secondes, un sourcil levé.
— Je ne leur vois pas d’autre utilité.
Il m’ignore, je suis insolent. C’est puéril. Je sais.
— Vous viendrez me voir à la fin de l’heure.
Compte là-dessus et bois de l’eau. A toi de me courir un peu après, les murs à force ça donne des
bosses.
Je me rallonge sur ma table, il me lance un regard exaspéré et reprend son cours. Je me fais réveiller une
heure plus tard par la sonnerie, attrape mes affaires et me casse. Ça sent la retenue à plein nez. M’enfin c’est pas comme si j’avais l’habitude de les faire.
* * *
Pour une fois que je me suis installé dans le salon dans l’optique de bosser un peu mes cours – oui, je me
suis dit que le bac c’était quand même important - y a un abruti qui essaye de fracasser ma porte d’entrée !
— Bon ça suffit MAINTENANT ! J’hurle en l’ouvrant à la volée. T’essaye de percer un trou en plein milieu ou
quoi ? C’est quoi TON PUTAIN DE PROBLÈME ?
— Et le TIEN ? Tu te crois tout permis parce que j’ai fait une PUTAIN D’ERREUR ? Quand je te demande quelque
chose de prof à élève tu te DOIS de le faire !
— Ah ouais ? Une ERREUR ? Tu vas utiliser ça encore COMBIEN DE TEMPS ?
— Et toi ? Tu vas continuer à faire ton GAMIN POURRI GÂTÉ ENCORE COMBIEN DE TEMPS ? T’as pas eu le jouet que tu
voulais alors tu boudes !?
— Oh t’inquiète pas pour ça ! J’en ai déjà trouvé un autre de JOUET !
— Ah OUAIS ? alors pourquoi est-ce que TU CONTINUES DE M’EMMERDER ?
— Parce que ça M’AMUSE ! Je me demandais quand est-ce que tu allais ENFIN CRAQUER ! Vu le temps que ça t’a pris
c’est à croire que t’es totalement INSENSIBLE !
— INSENSIBLE HEIN ?
Je crois que celle là je l’avais pas vu venir. Je n’ai pas compris tout de suite ce qui se passait, toujours
est-il qu’on s’est retrouvé dans une sorte de combat de baiser, « A qui sera le plus passionné ? », qui a duré quand même un bon moment, avant qu’on ne se sépare aussi sec.
— C’est assez INSENSIBLE pour toi ?
— Ahem, salut les gars ! Lance Kay en se frayant un passage entre nous pour accéder au salon. Vous devriez peut-être
fermer la porte la prochaine fois, on vous entend jusqu’en bas.
Matthew tourne les talons et repart vers son appart’ puis se retourne un millième de seconde pour me lancer
un « au fait, le proviseur a décidé que tu avais besoin de cours soutien. Lundi 14h, soit pas en retard. » avant de rentrer chez lui.
Hein ?
— Qu’est-ce qui s’est passé ? S’enquiert Kay.
— J’sais pas trop, j’ai pas tout compris.
Il acquiesce vaguement, déjà pratiquement absent.
— Au fait Kay, c’est quoi ce sourire niais sur ton
visage ?
Il hausse les épaules avec un sourire en coin avant de décider qu’il était temps de faire la cuisine.
* * *
— Allo ?
— Bonjour mon chéri.
— Maman…
— Tu n’es pas venu me voir depuis un moment, je m’inquiète tu sais.
— La faute à qui ? Je marmonne.
— Tu sais sur le coup je ne me suis pas rendue compte que je t’avais peut-être blessé mais, après j’ai
réfléchi.
— T’as eu besoin de trois semaines pour réfléchir ?
— J’ai eu besoin de trois semaines pour savoir quoi te dire.
— C’est bizarre, y a pas si longtemps tu savais encore me parler.…
J’ai pas changé ! C’est encore moi ! Alors c’est quoi le problème ?
— Laisse-moi du temps…
Je me fige devant la vitrine d’un café et fixe deux hommes assis à une table qui rient.
— Faut que j’te laisse.
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