Chapitre 26

Alors qu’il tournait la clé dans la serrure, Josh se dit qu’il avait plein de choses à voir avec Ryan. Peut-être pourraient-ils même parler de leur avenir sérieusement maintenant que cette histoire de travail était résolue. Il se rendit compte que c’était la première fois qu’il envisageait de faire des projets avec quelqu’un. Il comprenait maintenant pourquoi Tom avait épousé Mary.  Il l’aimait… Voilà pourquoi le sentiment de claustrophobie à l’idée d’être « coincé » avec elle ne l’avait même pas effleuré. Il voulait passer le plus de temps possible avec elle. C’est ce que Josh ressentait à ce moment là. Plus guilleret que d’habitude, il poussa la porte. Décidemment l’amour est une chose bien étrange.

Mais, il se figea sur le seuil, comme pétrifié. La porte, qui claqua derrière lui, ne le fit même pas réagir. L’eut-il même entendu ?

Ses pas le menèrent droit vers le point qu’il fixait depuis quelques minutes déjà. Josh reconnu aussitôt les deux protagonistes figurant sur la première photo. Ses genoux tremblants cédèrent sous la vague de détresse qui le submergea d’un coup. Il glissa à terre et saisit le tas de photos jeté à même le sol. Jamais il n’aurait pu penser que Terrence aurait pu faire une chose pareille ! Son ancien amant avait bien changé ! Il était devenu manipulateur et cruel. Josh se releva, désemparé. Qu’allait être la réaction de Ryan ? Il ne lui avait rien dit pour le protéger, pour lui éviter des souffrances inutiles mais, le comprendrait-il ?

Le photographe, achevé par son propre mode d’expression, par sa plus grande passion, se releva, chancelant Il appela son amant mais, le silence fut sa seule réponse Il ne pouvait pas espérer que Ryan ne les ai vu. C’était bien trop utopique Le jeune homme fit le tour de l’appartement, espérant le trouver encore là Mais, après avoir fait le tour de toutes les pièces – qui se comptaient au nombre de quatre, sans compter la salle de bain – il dû bien se rendre à l’évidence : Ryan était partit

Josh prit son portable et composa le numéro de son amant. Les mains tremblantes, et les jambes vacillantes, il faisait les cent pas devant la fenêtre.

Une première sonnerie retentit.

Qu’allait-il lui dire ? Il n’avait pas réfléchit avant de l’appeler.

Seconde sonnerie.

Mais, c’était ce qui semblait être la meilleure chose à faire.

Troisième.

Il n’avait qu’à lui dire la vérité, ce qu’il ressentait.

            Quatrième.

Et aussi pourquoi il avait décidé de ne pas lui en parler.

            Cinquième.

Il pourrait aussi enfin lui avouer ce qu’il ressentait pour lui. Ou pas… C’était peut-être un peu tôt. Et puis, ce n’était pas le genre de choses qu’on disait par téléphone.

            Sixième.

Mais, comprendrait-il qu’il avait été piégé ? Et surtout, comprendrait-il ses motivations pour le lui avoir caché ?

            Septième.

Voudrait-il seulement lui parler ?...

            Répondeur.

Apparemment il n’était pas chez lui…

Josh laissa un message angoissé, disant qu’il voulait absolument lui parler.

Le photographe appela sur son portable mais, tomba directement sur la messagerie. Il décida de contacter Tom. Il saurait surement où était son frère. Quoique… il avait quand même réussi à l’ignorer durant près de deux semaines. Les sonneries s’éternisaient. N’y tenant plus, il ouvrit la fenêtre et sortit sur le balcon, le vent frais ébouriffait ses mèches rousses et rafraîchissait l’angoisse brûlante qui lui ébouillantait l’estomac. Pour la première fois depuis longtemps, il avait peur de perdre quelqu’un.

Tandis que la tonalité retentissait à intervalles réguliers dans son oreille droite, il se mit à arpenter le balcon de long en large, sans même s’en rendre compte. Le répondeur se mit en marche et il coupa la communication. Le jeune homme s’accouda à la balustrade et passa une main lasse dans ses cheveux.

            Et s’il passait chez lui ? Mieux valait régler cette affaire au plus vite avant qu’il ne décide de ne vraiment plus le revoir. Sans réfléchir davantage, il referma la fenêtre, attrapa ses clés et sortit.

*     *

*

            Les coups frappés à se porte résonnaient étrangement dans l’immeuble silencieux.

Comme une promesse funeste.

Découragé, il laissa retomber sa main et s’appuya un instant à la porte. Où était-il donc ? Pourquoi était-il partit si vite ? Sans même lui laisser le temps de s’expliquer.

Il comprenait parfaitement sa réaction. C’était normal. Naturel même. Néanmoins, Ryan devait bien savoir que jamais il n’aurait pu lui faire ça. Pourtant, il l’avait fait… Il n’allait pas bien et Terrence l’avait fait boire plus que de raison mais… ce n’était pas une excuse, n’est-ce pas ? Il lui avait fait du mal. Inconsciemment. Mais, il lui en avait fait. Ryan ne méritait pas ça. Il avait déjà assez souffert comme ça. Terrence lui avait fait subir la même chose. Et deux fois de suite il avait dû l’endurer. Il avait même eu la preuve en image les deux fois.

            Son poing partit s’écraser contre le mur, sans qu’il n’ait eu le temps de s’en rendre compte. Une douleur sourde remonta le long de son bras avant de devenir douloureuse et lancinante, comme le poids de sa culpabilité qui ne faisait que s’alourdir de minute en minute.

Ryan lui avait pourtant bien expliqué à quel point il avait souffert de la trahison de Terrence et lui, pauvre idiot qu’il était, lui avait fait supporter cette trahison une seconde fois. Comme si une n’était pas suffisante.

            Au final, il n’avait pas tant changé que ça. Il était toujours le même salaud. Il avait beau mépriser Terrence, au fond, il ne valait pas mieux que lui. Et aujourd’hui, c’était lui-même qu’il méprisait. Même s’il allait s’excuser, cela n’effacerait pas son acte. Est-ce que Ryan pourrait lui pardonner cette double trahison ? Le fait que l’homme avec qui il était ait pu coucher avec l’homme qu’il avait aimé, que son amant actuel ait pu le faire souffrir de la même façon que son ancien amant. Mais… même s’il parvenait à lui pardonner, qui pouvait être sûr que Josh ne recommencerait pas ? Ses efforts avaient été vains. Pourquoi seraient-ils fructueux pour un second essai ?

            Chassez le naturel, il revient au galop.

Comment savoir si cela serait productif ? S’il n’avait pas réussi cette fois, il ne pourrait réussir. C’était voué à l’échec. Tous les efforts qu’il pourrait déployer ne viendraient jamais à bout de sa vraie nature. Il avait toujours été un beau salaud. On ne changeait pas du jour au lendemain.

            L’engrenage était bel et bien enclenché quoiqu’il en dise.

Si tu n’essayes pas, tu ne sauras pas.

Josh se releva. Même s’il ne risquait pas de lui pardonner, son amant avait le droit de connaître les facteurs qui l’avaient poussé à cette infidélité.

Il prit son portable et composa de nouveau le numéro de Ryan. La voix criarde du répondeur lui répondit immédiatement. Apparemment, son téléphone était éteint. Il réessaya d’appeler Tom mais, récolta le même résultat que la fois précédente.

            Le photographe soupira et fit demi-tour. A quoi bon camper devant sa porte ? Il n’avait plus qu’à attendre que Ryan décide de lui parler de lui-même ou de le croiser. Il pourrait toujours réessayer le lendemain. En se rongeant les sangs jusqu’à ce qu’il ait pu lui parler.

            Dehors, le ciel était grisâtre, presque noir, et l’orage grondait. Il n’allait pas tarder à pleuvoir. Il sortit ses clés de voiture et s’apprêtait  à les glisser dans la serrure quand son portable sonna. Douce mélodie faisant naitre une lueur d’espoir au plus profond de son cœur. Peut-être était-ce lui. Il voulait sans doute discuter avec lui. Essayer de comprendre. Son cellulaire fut dans sa main en moins de deux. Il décrocha sans même vérifier le nom de son interlocuteur, tellement persuadé qu’il s’agissait de Ryan.

−        Allo ?

−        Josh ?

−        Jason ? S’écria-t-il étonné.

−        Je suis désolé, Josh. Je viens seulement de l’apprendre.

−        Pardon ?

Il s’excusait de quoi au juste ? Il savait pour les photos ? C’était ça ?

−        En tout cas, sache que tu peux compter sur moi. Si jamais tu as besoin de quelque chose, n’hésite surtout pas.

−        Mais… de quoi tu parles ?

−        De… mais de Ryan…

−        Qu’est-ce qu’il a Ryan ?

−        Tu… tu n’es pas au courant ?

−        Au courant de quoi ?

−        Josh… Il a eu un accident… Il est à l’hôpital.

Chapitre 28

Un homme entra dans la pièce obscurcie par les rideaux tirés. Il avança prudemment, essayant d’apercevoir quelque chose dans cette obscurité qui le laissait perplexe. Une ombre bougea au fond de la salle et il reconnu l’homme qu’il était venu voir.

—    Alors ?

Sa voix autoritaire résonna étrangement et se répercuta contre les murs avant de revenir en écho, faisant frissonner l’invité.

—    C’est fait. Répondit-il plus ou moins assuré. Néanmoins, il y a eu un léger problème.

—    Lequel ? Demanda son interlocuteur avec un sourire carnassier, découvrant ses dents.

—    Eh bien… le jeune homme a fini à l’hôpital et est malheureusement dans le coma.

—    En effet … c’est fâcheux. Dit-il en souriant toujours.

L’homme se demandait quelle pouvait bien être l’expression de son interlocuteur qu’il distinguait à peine. Il avait la vague impression qu’il était satisfait. Étrange. Comment pouvait-il être heureux d’une chose pareille ? Cet homme lui avait seulement demandé de faire peur à ce jeune homme, pas de le tuer – ou presque. Il avait peur de son courroux. Ses colères étaient légendaires. S’il était mécontent, il fallait filer bas. Il congédiait les gens tellement froidement que c’était pire qu’une humiliation publique. Ce n’était pas réellement ce que l’on pouvait qualifier de colère, plutôt vague de froid glacial agrémentée de morceaux de glace acérés qui vous transperçaient en une fraction de seconde.

—    Ce n’est pas ce qui était prévu. Vous n’avez pas exécuté mes ordres à la lettre. Êtes-vous donc inapte à faire ce que l’on vous demande ? Je ne dirais pas que vous êtes un incapable, ce mot n’est pas adapté à la situation. Néanmoins, ce que je pense n’en est pas loin. Pour ces raisons, sachez que je ne ferais plus appel à vous. Maintenant, prenez votre cachet et allez-vous-en.

L’homme, interloqué, prit l’enveloppe et se dirigea vers la porte.

—     J’espère au moins que vous savez que s’il meurt vous serez reconnu coupable ! Siffla-t-il.

Il avait déjà claqué la porte. Il n’en revenait pas. On lui avait beaucoup parlé de lui mais, ses paroles l’avaient bouleversé. Non. Pas ses paroles. Son ton. Il avait quelque chose qui vous faisait tomber bien bas. Jamais il n’aurait cru qu’avec de simples mots on pouvait briser un homme. Cette façon de prononcer ces paroles, d’une froideur digne des plus illustres banquises, le faisait encore trembler. Il avait réussi à lui faire penser qu’il n’était qu’un moins que rien, incapable de faire quoique ce soit.

            A peine la porte fut-elle refermée derrière son homme de main du jour, il détruisit son masque de mépris figé dans la glace pour le remplacer par une expression de satisfaction. Un grand sourire étira ses lèvres. Cet homme avait exécuté ses ordres presque à la perfection en vérité. Simplement, il fallait sauver les apparences. Le résultat de cette « opération » n’avait pas égalé ses espérances, ni atteint le but escompté mais, s’en rapprochait grandement, ce qui était mieux que rien. Mais, il n’aurait jamais pu féliciter un homme qui en avait pratiquement tué un autre – même si c’est ce qu’il souhaitait – cela aurait paru louche. Cet homme aurait compris qu’à travers ses ordres, il lui avait en fait demandé de commettre un homicide. Il ne tenait à impliquer personne là dedans, c’était trop risqué pour lui.

            Le coma n’était qu’un répit avant la mort. Cette situation servait autant ses plans que celle qu’il avait imaginée.

Tout allait pour le mieux. Tout se déroulait tel qu’il l’avait prévu.