Chapitre 28

Un homme entra dans la pièce obscurcie par les rideaux tirés. Il avança prudemment, essayant d’apercevoir quelque chose dans cette obscurité qui le laissait perplexe. Une ombre bougea au fond de la salle et il reconnu l’homme qu’il était venu voir.

—    Alors ?

Sa voix autoritaire résonna étrangement et se répercuta contre les murs avant de revenir en écho, faisant frissonner l’invité.

—    C’est fait. Répondit-il plus ou moins assuré. Néanmoins, il y a eu un léger problème.

—    Lequel ? Demanda son interlocuteur avec un sourire carnassier, découvrant ses dents.

—    Eh bien… le jeune homme a fini à l’hôpital et est malheureusement dans le coma.

—    En effet … c’est fâcheux. Dit-il en souriant toujours.

L’homme se demandait quelle pouvait bien être l’expression de son interlocuteur qu’il distinguait à peine. Il avait la vague impression qu’il était satisfait. Étrange. Comment pouvait-il être heureux d’une chose pareille ? Cet homme lui avait seulement demandé de faire peur à ce jeune homme, pas de le tuer – ou presque. Il avait peur de son courroux. Ses colères étaient légendaires. S’il était mécontent, il fallait filer bas. Il congédiait les gens tellement froidement que c’était pire qu’une humiliation publique. Ce n’était pas réellement ce que l’on pouvait qualifier de colère, plutôt vague de froid glacial agrémentée de morceaux de glace acérés qui vous transperçaient en une fraction de seconde.

—    Ce n’est pas ce qui était prévu. Vous n’avez pas exécuté mes ordres à la lettre. Êtes-vous donc inapte à faire ce que l’on vous demande ? Je ne dirais pas que vous êtes un incapable, ce mot n’est pas adapté à la situation. Néanmoins, ce que je pense n’en est pas loin. Pour ces raisons, sachez que je ne ferais plus appel à vous. Maintenant, prenez votre cachet et allez-vous-en.

L’homme, interloqué, prit l’enveloppe et se dirigea vers la porte.

—     J’espère au moins que vous savez que s’il meurt vous serez reconnu coupable ! Siffla-t-il.

Il avait déjà claqué la porte. Il n’en revenait pas. On lui avait beaucoup parlé de lui mais, ses paroles l’avaient bouleversé. Non. Pas ses paroles. Son ton. Il avait quelque chose qui vous faisait tomber bien bas. Jamais il n’aurait cru qu’avec de simples mots on pouvait briser un homme. Cette façon de prononcer ces paroles, d’une froideur digne des plus illustres banquises, le faisait encore trembler. Il avait réussi à lui faire penser qu’il n’était qu’un moins que rien, incapable de faire quoique ce soit.

            A peine la porte fut-elle refermée derrière son homme de main du jour, il détruisit son masque de mépris figé dans la glace pour le remplacer par une expression de satisfaction. Un grand sourire étira ses lèvres. Cet homme avait exécuté ses ordres presque à la perfection en vérité. Simplement, il fallait sauver les apparences. Le résultat de cette « opération » n’avait pas égalé ses espérances, ni atteint le but escompté mais, s’en rapprochait grandement, ce qui était mieux que rien. Mais, il n’aurait jamais pu féliciter un homme qui en avait pratiquement tué un autre – même si c’est ce qu’il souhaitait – cela aurait paru louche. Cet homme aurait compris qu’à travers ses ordres, il lui avait en fait demandé de commettre un homicide. Il ne tenait à impliquer personne là dedans, c’était trop risqué pour lui.

            Le coma n’était qu’un répit avant la mort. Cette situation servait autant ses plans que celle qu’il avait imaginée.

Tout allait pour le mieux. Tout se déroulait tel qu’il l’avait prévu.

Chapitre 30

Le médecin sorti, ils restèrent tous prostrés sans savoir que faire, chacun sa propre expression. Agathe restait choquée. Son dernier espoir venait de s’envoler. Son monde n’allait pas tarder à s’écrouler. Son bébé allait mourir. Tom arborait un air neutre, il savait dès le début ce qui allait advenir. Mais, Josh voyait bien qu’il essayait de cacher son chagrin quand même. Le photographe baissa la tête.

            Alors, c’était comme ça que ça se finissait ? C’était comme ça que tout ça se terminait ? Avec la mort de son amant ?

Agathe se leva brusquement, s’approcha de son fils et déposa un baiser sur son front.

—    Je vais rentrer. Je reviendrais plus tard. J’ai besoin de réfléchir.

—    Pas de problème Agathe. Prenez votre temps.

En passant près de Josh, elle posa furtivement sa main sur son épaule avant de sortir de la pièce.

—    Tu vois, l’espoir ne sert qu’à retarder la chute. Chuchota Tom.

Josh n’eut pas le temps de répliquer qu’une tornade blonde déboula dans la chambre. Mary salua son mari et son ami avant de les regarder, anxieuse.

—    Qu’est-ce qui se passe ? J’ai croisé ta mère dans le couloir et elle n’avait pas l’air bien. Annonça-t-elle en faisant un signe vers ses yeux.

Josh ne déplaça pas son regard d’un millimètre, braqué sur la fenêtre, et Tom se mit à observer attentivement le sol.

—    Oh, je … désolée…

Elle n’était pas infirmière pour rien…

Ils gardèrent tous le silence pendant quelques minutes avant que Tom ne se lève et décrète qu’ils devaient y aller. Josh leur fit un petit signe de la main avant de se replonger dans ses idées macabres. Il finit par s’endormir bercé par ses sinistres pensées tenues à bout de bras par la Mort elle-même, tenant la main de Ryan si fort qu’il aurait pu avoir mal s’il était conscient. Il avait enfin trouvé quelqu’un qu’il aurait aimé garder près de lui et on lui enlevait. La vie lui en voulait…

            Durant cinq jours et cinq nuits, Josh resta près de lui, au grand damne des infirmières. Son frère et sa mère passaient quand ils le pouvaient et restaient avec lui autant que leur temps le leur permettait.

            Ce fut, quand Agathe arriva, le sixième jour, que Josh vit que quelque chose n’allait pas. Ses yeux rouges et ses mains tremblantes l’alarmèrent.

—    Je suis vraiment désolée Josh mais, j’ai pris ma décision. Je ne supporte plus de le voir dans cet état.

Le photographe hocha tristement la tête. Il ne pouvait rien faire. Ce verdict ne lui appartenait pas. Et puis, à quoi bon attendre plus ? Il était déclaré comme mort. C’était fini. Une larme s’échappa de ses cils. Agathe le prit dans ses bras pour le réconforter même si elle savait que ça ne servirait pas à grand-chose. Elle voulait qu’il sache qu’elle était là. Malgré lui, il avait continué à espérer. Inconsciemment. Mais cette fois, il n’y avait plus d’espoir. C’était terminé.

Le paradoxe de cette situation ne lui vint pas tout de suite. C’était la mère de Ryan qui tentait de le réconforter alors que c’était elle qui perdait un fils…

—    Quand ? Murmura-t-il.

—    Cet après midi.

Tous deux restèrent ensemble au chevet de Ryan, l’observant dans ses derniers moments, attendant patiemment les médecins. Patiemment mais anxieusement. Les médecins signifieraient la fin…

Josh décida de lui donner un dernier baiser d’adieux avant que tout le monde n’arrive. Il ne tenait pas à se recueillir en public. Ce genre de moment était privé. Agathe embrassa aussi son fils une dernière fois, contenant difficilement ses larmes. Josh la tint contre lui.

Tom et Mary arrivèrent suivis de deux médecins.

Prédiction funèbre …

Josh se recula, laissant la place à Tom, tenant à leur laisser leur dernier moment en famille, tandis qu’Agathe prenait une des mains de Ryan et Tom la seconde. Un médecin s’approcha de la machine et s’apprêtait à enclencher le bouton qui arrêterait tout, attendant seulement l’assentiment de la maman. Celui-ci tarda à venir. Elle avait du mal à se résoudre à ça.  Mais, après quelques minutes, elle se décida, c’était mieux pour lui. Continuer à vivre dans cet état n’était pas une vie. Agathe allait hocher la tête quand elle sentit une pression sur sa main.

—    Attendez ! S’exclama-t-elle.

Elle baissa la tête et observa son fils. Ses cils papillonnèrent légèrement.

—    Il a bougé. Souffla-t-elle.

Les médecins s’approchèrent d’elle, sceptiques. Mais durent se rendre à l’évidence : Ryan se réveillait. Un se chargea de prendre sa tension tandis que le second  observait attentivement l’encéphalogramme qui reprenait vie. Abasourdis, ils se regardèrent et s’éloignèrent d’un accord tacite pour observer le phénomène et laisser le jeune homme reprendre connaissance entouré de sa famille et non d’inconnus en blouse blanche.

            Ses yeux s’ouvrirent et se posèrent alternativement sur sa mère et son frère. Agathe, pleurant à chaudes larmes, le serra dans ses bras.

—    Maman ? Murmura le miraculé.

—    Oui mon cœur ?

—    Je…

Il ne put finir sa phrase, une larme roula le long de sa joue et qu’un grand sourire s’étala sur ses lèvres.

Les deux médecins décidèrent de se retirer le temps qu’il reprenne ses esprits avec ses proches.

 Don’t let me go

Tom le prit à son tour dans ses bras, n’en croyant pas ses yeux. L’émotion lui écrasant les cordes vocales, il lui était impossible d’émettre le moindre son. Il aurait dû mourir, et au lieu de ça, il lui souriait. C’était un miracle. Josh avait raison, l’espoir ne servait pas à rien. Tom se tourna vers son ami et lui fit signe de venir vers eux. Le photographe s’avança et se pencha sur Ryan, lui passant une main dans les cheveux, un sourire aux lèvres. Il était si heureux qu’il ait échappé à l’Ange de la Mort ! Il n’y croyait plus et voilà qu’il se trouvait de nouveau parmi eux. Il était tellement soulagé qu’il le serra contre lui.  Il aurait aimé l’embrasser à n’en plus finir mais, trop de monde était présent. Ils verraient ça plus tard, en privé, quand ils rentreraient tous les deux dans l’appartement de Josh. Le jeune roux releva légèrement la tête, n’arrivant pas à déchiffrer l’expression de Ryan. Ne tenant pas compte de son regard interrogateur, Josh mit sa tête dans son cou. Il l’avait retrouvé, c’était le plus important.

Don’t let me go

—    Je t’aime mon cœur. Lui murmura-t-il de sorte qu’il soit le seul à pouvoir l’entendre, même si Agathe et Tom s’en doutaient aisément.

Il se sentit poussé en arrière, ne comprenant pas tout de suite ce qui se passait.

—    Ne me touche pas ! Hurla le blond.

—    Écoute, je suis vraiment désolé, j’aurais dû t’en parler mais, j’ai fait ça pour te protéger.

—    De quoi tu parles ? Je ne te connais même pas ! Ne pose plus tes mains de sale tapette sur moi compris ? Cracha-t-il, acerbe.

Ses paroles s’enfoncèrent dans le cœur de Josh comme un million de morceaux de verres lui lacérant la chair.

I will be your gardening
when all is crumbling

Josh ne dit rien, qu’aurait-il pu dire de toute façon ? Il se contenta de l’observer, abattu. Alors, leur histoire valait-elle si peu pour lui qu’il ait pu l’oublier ?

Ryan se tourna vers son frère qui arborait un air désolé.

—    Tu le connais toi ?

—    C’est Josh, Ryan ! Tu te rappelles ?

—    Non.

—    Mais c’est avec lui que tu as passé ces derniers mois !

—    Dis lui de partir.

—    Mais, Ryan, tu ne peux quand même pas oublier ce qu’on a vécu ! Intervint Josh.

—    Je suis pas pédé alors dégage !

—    Mais… Ryan…je…

Les cris provenant de la chambre alertèrent le corps médical qui se rua dans la pièce.

—    Je ne sais pas qui tu es et je ne veux rien avoir à faire avec toi !

—    Perte de mémoire ? Demanda le médecin de Ryan.

Agathe et Tom acquiescèrent. Agathe se sentait si mal pour Josh. C’était lui qui avait le plus veillé sur son fils ces derniers mois et ses efforts étaient soldés par un échec. Elle tenterait tout ce qu’elle pourrait pour aider Josh et résonner Ryan. Elle aimait ce jeune homme qui avait prit soin de son fils.

—    Ça arrive dans des cas de coma. C’est très probable que ses souvenirs refassent surface d’ici quelques temps. Je ne peux pas être plus précis malheureusement. Ça peut être quelques jours, quelques mois, des années… Mais il n’y a pas d’inquiétude à avoir là-dessus. Nous avons développé des techniques permettant la remémoration.

Mais, Josh était déjà partit…

Don’t let me go

—    Nous voudrions  procéder à de nouveaux examens. Ses jambes sont en assez mauvais état et je pense que Ryan aura besoin de rééducation.

Josh avait quitté l’hôpital en trombe, ne laissant rien derrière lui. Il atteint son appartement, prit le téléphone et acheta un billet pour le prochain avion décollant direction le Canada. C’était fini. Sa décision était prise. Son tour du monde commençait maintenant. Il ne supporterait pas de voir Ryan sans pouvoir l’approcher. Ce serait trop dur et il n’était pas assez fort pour ça. Il jeta ses affaires dans deux valises et sortit de son appartement. Son avion décollait deux heures plus tard.

Il était deux heures du matin, l’embarquement allait démarrer.

« Vol 2707 à destination d’Ottawa »

Ça y était, il allait monter dans son avion, il allait faire ce qu’il désirait depuis longtemps déjà.

Don’t let me go

Dans l’hôpital Vaugirard, un jeune homme se réveilla en sursaut.

—    Josh. Souffla-t-il, désespéré.

Il voulu se lever mais ses jambes ne le portaient pas. Son docteur l’avait prévenu, elles étaient inutilisables. Les larmes affluèrent aux coins de ses yeux et il ne put s’empêcher de gémir de désespoir. Tom sortit en trombe de la salle de bains, alerté par les pleurs de son frère. Ryan ouvrit des pupilles démesurées, surpris qu’il soit encore là.

—    Qu’est-ce qui se passe Ryan ?

—    Va… va chercher Josh, s’il… s’il te plait.

De la surprise, le visage de l’ainé, passa à la tendresse.

—    J’y vais. Je te le ramène.

—    Merci. Soupira le blond.

We're falling apart

Mais, malgré la promesse faite à son frère, il ne put la tenir. Josh avait disparu et tout ce qu’il avait trouvé à son appartement était un mot lui disant de récupérer les affaires de Ryan et qu’il partait…

Don’t let me go