Chapitre 29

            On le secoua doucement pour tenter de le tirer des bras de Morphée. Ses paupières papillonnèrent un instant avant de se fixer. Josh releva difficilement la tête, les yeux à moitié ouverts. Il s’était assoupi dans le fauteuil près du lit, la tête dans les bras, posés sur ce dernier. Une petite femme au visage avenant et aux cheveux grisonnants  était penchée sur lui. Elle le regardait tendrement, un sourire aux lèvres. Il se leva, lui rendant son sourire.

—    Bonjour Agathe. Prononça-t-il en la prenant dans ses bras.

Il s’écarta d’elle et la regarda.

—    Vous allez bien ?

La femme l’observa d’un air réprobateur.

—    Josh, tu as passé la nuit ici ?

—    Je…oui…

—    Va te reposer, rentre chez toi.

—    Je ne voulais pas qu’il soit seul.

—    Ne t’en fais pas, aujourd’hui je serais là.

—    Et j’en suis heureux. Il marqua une légère pause avant de reprendre. Vous savez, Ryan avait l’intention de passer vous voir prochainement.

—    Et Tom m’a dit que c’était toi qui avais réussi à le convaincre.

Josh ne dit rien. Il aurait préféré qu’elle ignore cette partie de l’histoire. Il aurait préféré qu’elle croie qu’il était venu de lui-même. Cette femme était adorable et méritait, plus que quiconque, une parcelle de bonheur. Il n’arrivait toujours pas à comprendre comment Ryan avait pu croire qu’elle lui en voulait.

—    Va dormir un peu Josh. Je serais là aujourd’hui.

Le photographe hocha la tête et décida de laisser la mère et le fils en tête à tête.

—    Très bien. A ce soir dans ce cas.

En entrant dans son appartement, il se dirigea directement vers sa chambre. Il était épuisé. En tombant sur son lit, il ferma les yeux mais, n’arriva pas à trouver le sommeil. Il ne pouvait pas dormir. Les pensées envahissaient son esprit. C’était ici même que Ryan avait passé sa dernière nuit avant son accident. C’était dans ce lit qu’ils avaient passé leur, peut-être, dernière nuit ensemble.

Ses pensées le tourmentèrent encore longtemps avant de s’évanouir en volutes de fumée blanche imaginaire, puis, les dernières effluves du parfum de son amant finirent de l’endormir.

Ce soir là, quand il entra dans la chambre de Ryan, Agathe n’avait bougé. Elle couvait son fils d’un regard confiant nuancé, néanmoins d’une lueur inquiète. Il posa une main rassurante sur son bras et elle leva la tête vers lui.

—    Vous avez mangé ?

—    Oui, ne t’en fait pas.

Le silence prit place dans la pièce tandis que tous deux regardaient Ryan. De façon différente toutefois.

—    Il vous aimait, vous savez ? Il n’osait juste pas venir vous voir.

—    Il avait peur que je ne lui pardonne pas ? Je lui aurais tout pardonné.

—    Je pense qu’il y avait une part de ça mais pas seulement…

—    Comment ça ?

—    Je pense plutôt qu’il avait honte.

—    Il n’aurait pas dû pourtant. Il n’a rien fait de mal.

—    Dans son esprit, il vous avait abandonné.

—    Tu as l’air de très bien le connaître.

Le regard de Josh tomba sur son amant. Il ne répondit pas. C’était vrai. En si peu de temps, il avait appris à le connaître et sa connaissance de lui le surprenait d’ailleurs. Qu’il puisse savoir ce que pensait une personne lui paraissait assez étrange. Ce n’était pas quelque chose dont il avait l’habitude.

Agathe l’observa en silence. Il regardait Ryan. Elle sourit. Il soupira. Son regard disait tout.

—    Je sais que tu t’occuperas bien de lui.

Josh se tourna vers elle, son regard était bienveillant. Il n’avait pas besoin de lui demander de quoi elle parlait, ils s’étaient compris.

Le grincement de la porte les fit se retourner. Tom entra et les salua.

—    Il va bien ?

—    Aucun changement. Lui répondit sa mère.

Il baissa les yeux, le regard triste. Josh décida de leur laisser un peu de temps ensemble, en famille. Après tout, il était à eux avant d’être à lui. Si on pouvait dire ça comme ça, car Ryan n’était absolument pas un objet que l’on pouvait s’approprier. Il était un être humain au même titre que tous ceux présent dans cette pièce. Un être humain qui avait lui aussi ses faiblesses.

—    Je vais faire un tour.

Tom acquiesça. Josh sortit. Sortant de la chambre, il emprunta le couloir menant à la sortie. Il s’adossa à un mur devant l’hôpital. Il avait besoin de prendre l’air. Les réactions de Tom et Agathe étaient si différentes… Agathe restait persuadée que son fils allait se réveiller d’une minute à l’autre, même si elle était inquiète. Alors qu’on voyait très clairement que son frère, rien qu’à son attitude, était sûr qu’il ne se réveillerait pas. Dans ce genre de situation, il était impossible de prévoir à l’avance ce qui se passerait. L’orage gronda et une pluie diluvienne se mit à tomber. Josh s’abrita sous le porche devant l’hôpital. Comment prévoir le futur de toute façon ? Il était plongé dans un coma de stade quatre, soit un coma très profond. Qui sait s’il s’en sortira ou sombrera ? Rien n’était sûr. Et c’était bien là le problème. Josh plongea ses mains dans ses poches et suspendit aussitôt son résonnement. Une sorte de boite en carton était logée dans la droite. Qu’est-ce que ça pouvait bien être ? Il l’en délogea et observa l’objet de ses questions d’un air surpris. Qu’est-ce que ça faisait là après tout ce temps ? Après tout il pouvait bien en prendre une. Il en avait besoin. Ça ne pourrait que lui faire du bien. Il sortit un petit bâtonnet blanc du paquet et l’alluma. Mais n’était-ce pas que des excuses ? Il avait eu tant de mal à arrêter… Ne risquait-il pas de replonger ? Le photographe décida de ne pas y prêter attention. Il verrait ces détails plus tard. Pour l’instant il avait besoin de décompresser, de se vider la tête de toutes ces pensées qui tournaient en rond. Il n’y avait pas beaucoup d’espoir mais, il ne pouvait s’empêcher d’espérer. Même s’il ne le sentait pas vraiment. Il avait une sorte de mauvais pressentiment. Il ne savait pas d’où il venait mais, il lui étreignait l’estomac.

—    Depuis quand tu t’es remis à fumer ?

Le roux se retourna surpris.

—    Tu m’as fait peur.

—    J’ai vu ça.

—    Arrête d’arriver par derrière pour surprendre les gens, un jour, tu auras moins de chance que ça et tu te retrouveras avec un cadavre cardiaque sur les bras.

Tom se mit à rire. Les répliques de Josh étaient toujours mémorables et souvent allaient loin dans l’imaginaire. Il releva la tête et fixa son ami. Josh avait le regard loin sur l’horizon. (Horizon qui se résumait au mur du bâtiment d’en face en fait.)

—    Alors ? Demanda-t-il en faisant un signe de tête vers la cigarette de Josh.

—    Ah ça. Bof, j’ai pas recommencé.

—    Et c’est quoi alors ?

—    Juste une comme ça.

—    Ça te mine pas mal quand même.

Josh voulu ouvrir la bouche mais Tom le devança.

—    Ne nie pas s’il te plaît. Je le sais, ça se voit. Même maman l’a remarqué. Elle sait que tu étais avec lui.

Était. C’était le seul mot – ou presque – qu’il avait retenu. Il n’avait aucun espoir. Pour lui, c’était comme s’il était déjà mort. Ce fut ce verbe au passé qui le fit sortir de ses gonds. Juste un verbe. Mais, un temps qui voulait dire tant de choses.

—    Mais arrête de parler de lui comme s’il était déjà six pieds sous terre ! S’énerva-t-il. Fait un effort merde !

—    Un effort pour quoi ?

—    T’es pas tout seul, bordel ! Pense un peu à ta mère ! Même si tu n’as plus d’espoirs, ne lui enlève pas les siens ! C’est la seule chose qui lui donne le sourire. Savoir que son fils va s’en sortir, c’est ce qui lui permet de garder la tête hors de l’eau ! Essaye de comprendre ça ! Même si tu n’y crois plus, fait semblant au moins pour elle. Elle ne mérite pas de souffrir alors laisse lui le peu d’espoir qu’elle peut encore avoir.

—    Pourquoi la laisser espérer alors qu’il ne reviendra pas ?

—    Tant qu’il n’est pas mort, il y a toujours de l’espoir. Et tant qu’il n’est pas mort il est encore en vie. Comment peux tu savoir à l’avance s’il va survivre ou non ? L’espoir c’est tout ce qui lui reste, alors ne lui enlève pas. Elle fera son deuil quand il sera réellement mort. Mais, pour le moment, ce n’est pas le cas.

Tom ne répondit pas. Il avait les yeux dans le vide et semblait réfléchir aux paroles de son ami. Josh n’attendit pas qu’il se décide et tourna les talons. Il remonta dans la chambre de Ryan et s’assit dans le même fauteuil que la nuit précédente. Agathe était apparemment déjà partie. Il resta ainsi à le veiller toute la nuit et fini par s’endormir.

            Les nuits sans sommeil, à veiller sur son amant, devinrent plus qu’une habitude pour Josh. Durant un mois, il vint tous les jours malgré le fait qu’il n’y ait aucun changement dans ses constantes.

            Ce jour là était d’ailleurs comme les autres, si ce n’est la visite impromptue d’une vieille connaissance.

—    Je ne te comprends pas.

—    Va-t-en. Répondit-il sans se retourner.

—    L’hôpital est libre de visite.

—    Personne ne veut de toi ici et tu causes le mal partout où tu vas, consciemment ou non. Partout où tu vas, il arrive un malheur, alors sors d’ici et tout de suite.

—    Pourquoi tu t’accroches à lui ? C’est un presque un cadavre.

—    Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans : « VA-T-EN » ?

—    Il va mourir Josh. Arrête de perdre ton temps avec lui. Il est quasiment déjà à la morgue.

—    Dégage ou j’appelle la sécurité.

—    Très bien, fais comme tu veux. Perd ton temps à attendre un mort.

Le photographe entendit les pas de Terrence s’éloigner et soupira. Il avait surement raison, ça faisait déjà un mois qu’il était dans cet état. Il n’eut malheureusement pas le temps de se poser davantage de questions, qu’Agathe et Tom entrèrent dans la chambre suivis du médecin.

—    Alors docteur ? Qu’y a-t-il ? Demanda Agathe, pleine d’espoir.

—    Je ne sais comment vous annoncer ça. Je suis vraiment désolé mais, Après nos derniers examens, nous avons découvert que Ryan vient de passer en coma de stade cinq ou mort cérébrale.

Agathe porta une main à sa bouche, affolée. Tom regardait par terre. Josh ne savait que penser. Il avait eu raison, dès que Terrence passait quelque part, il arrivait un malheur.

—    Il va falloir que vous preniez une décision, devons nous le débrancher ou le maintenir en vie artificiellement encore. Il faut que vous sachiez avant, qu’il est pratiquement impossible qu’il se réveille.

—    Pratiquement ? Donc, il peut se réveiller ? Demanda Agathe, anxieuse.

—    Je ne peux pas vous promettre cela. Les cas qui ont réussi à se sortir de là sont vraiment peu nombreux. Il ne faut rien miser là-dessus, ce genre de cas est vraiment très rare. Je ne connais pas le nombre exact de cas mais, je peux vous dire qu’il ne dépasse pas les dix. Je vous laisse le temps qu’il vous faut pour décider, mais prenez votre décision en connaissance de cause. S’il ne se réveille pas, il vivra en végétatif.